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Inflation et chaîne de valeur agricole : à qui profite la hausse des prix ?


L’année 2023 a été particulièrement marquée par la hausse des prix alimentaires pour les ménages. L’inflation alimentaire a en effet atteint 11,9% par rapport à 2022. Mais à qui profite cette haute des prix ?

 

Dans ce nouveau POV d’HAïAT, nous revenons sur la chaîne de valeur agricole et son évolution du fait de l’inflation.

 

 

1995-2018 : la période pré-inflation

 

On appelle « euro alimentaire » l’analyse de la répartition de la dépense alimentaire en France en valeurs ajoutées, importations et taxes. Il s’agit, en somme, de la répartition de la valeur pour 1€ de consommation alimentaire. Entre 1995 et 2018, on constate une évolution de cette répartition de la valeur :

 



Sources : Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires (OFPM), HAïAT


  • 1995 : la valeur ajoutée créée en France représente 67,9% du total.

  • 2010 : la valeur ajoutée créée en France diminue à 63,2%.

  • 2018 : la valeur ajoutée diminue encore, à 58,6%.

 

En somme, entre 1995 et 2018, la valeur ajoutée induite par la consommation alimentaire en France n’a cessé de baisser, au profit des importations (+8,2 points). Et cela s’est principalement fait au détriment de l’agriculture et des services (juridique, comptabilité, finance, conseil, services aux sièges sociaux, transport…) — les industries agro-alimentaires et la distribution ayant réussi à capter sensiblement la même part de la valeur.


Cette période est ainsi marquée par un double phénomène.

D’une part, la consommation alimentaire des Français est de plus en plus dépendante des importations étrangères. Les conséquences s’observent particulièrement dans les moments de crise (Covid-19, guerre en Ukraine) avec des chaînes d’approvisionnement dysfonctionnelles.

 D’autre part, la baisse de valeur ajoutée induite s’est faite au détriment des secteurs primaires (agriculture, pêche, aquaculture).

On constate toutefois une stabilisation de ce phénomène entre 2010 et 2018.

 

Une répartition inégale de la valeur, au détriment de l’agriculture

 

Alors concrètement, comment se répartit cette valeur sur l’ensemble de la chaîne de valeur ? Est-elle équitablement partagée ou, au contraire, concentrée sur certains maillons précis ?

 


Sources : Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires (OFPM), HAïAT

 

 

L'analyse de la répartition de la valeur ajoutée et des emplois induits par la consommation alimentaire en France dévoile une répartition inégale favorisant certains maillons de la chaîne au détriment de l'agriculture, de la pêche et de l’aquaculture.

 

  • Entre 2010 et 2018, bien que la part de la valeur ajoutée attribuée à l'agriculture ait légèrement augmenté (de 13% à 14%), elle reste faible par rapport à la part stable des emplois qu'elle représente (18% à 19%).

  • Les industries agro-alimentaires, grandes gagnantes de cette période, voient progresser fortement leur contribution dans la valeur ajoutée totale (de 22 à 27%), tout en maintenant des emplois stables et à un niveau inférieur (18%).

  • Par contraste, la distribution a vu sa part de la valeur ajoutée rester relativement stable (augmentation de 33% à 34%) et sensiblement en ligne avec les emplois (35 à 36%).

  • Les services et le transport ont subi une forte diminution de leur part de valeur ajoutée (32% à 25%), dorénavant davantage en ligne avec les emplois qu’ils représentent (23%).

 

Ces chiffres révèlent une pression accrue sur les agriculteurs qui doivent soutenir un nombre significatif d'emplois tout en contribuant à une fraction plus réduite de la valeur ajoutée, soulignant les défis de la rentabilité et de la soutenabilité dans l'agriculture française.

 

Mais comment l’inflation récente impacte-t-elle cette tendance ?

 

2019-2023 : une tendance inflationniste qui s’accélère

 

Les cinq dernières années ont été marquées par une forte tendance inflationniste qui met en lumière des changements dans la répartition de la valeur pour 1€ de consommation alimentaire.

 

La décomposition des prix de vente à chaque maillon de la chaîne révèle que les agriculteurs et les distributeurs ont su tirer parti de l'inflation, tandis que les industries agro-alimentaires, prises en étau, encaissent les hausses de prix de l’amont tout en peinant à les répercuter en aval.

 



Sources : Inspection Générale des Finances (IGF), HAïAT

 

 

La Valeur Ajoutée s’obtient en additionnant l’Excédent Brut d’Exploitation (EBE) – soit la marge dégagée par l’entreprise –, les salaires et les impôts.

 

Ainsi, entre 2019 et 2023, les prix de vente des agriculteurs ont augmenté de 27.5%. Cette forte hausse est imputable à 48% à la hausse du coût des intrants, le reste étant lié à la hausse de la valeur ajoutée (5% à la hausse des salaires et à 47% à la hausse de l’EBE). Il est néanmoins à noter que la part du salariat est faible dans les exploitations agricoles, les exploitant se rémunérant en grande partie sur l’EBE.

Cet EBE a augmenté de 27% entre 2019 et 2022. Ce relatif rééquilibrage au profit des agriculteurs a été permis par la « sanctuarisation » de la part des matières premières agricoles dans les contrats de vente aux industriels et aux distributeurs, depuis la loi Egalim II.

 

Dans l’industrie agroalimentaire, la hausse des prix de vente (+17,5% entre 2019 et 2023) a été quasi exclusivement motivée par la hausse du coût des intrants (87%), soulignant sa relative incapacité à créer de la valeur ajoutée sur la période. La valeur ajoutée n'a contribué qu'à 12% de l'augmentation du prix final des produits, et cela s’est traduit par une hausse des salaires plutôt que de la marge. Ainsi, l’EBE du secteur a seulement augmenté de 1% par rapport à 2019, et il y a fort à parier que les grands groupes agroalimentaires, qui ont plus de poids dans les négociations, ont su mieux s’en tirer que les petits industriels.

 

Enfin, la distribution a tiré profit de l’inflation pour augmenter de manière significative sa valeur ajoutée. Si les prix de vente ont augmenté de 20.5% entre 2019 et 2023, cette hausse n’est imputable qu’à 47% à la hausse du coût des intrants et à 48% à la hausse de la valeur ajoutée. L’EBE du secteur a ainsi augmenté de 9% depuis 2019 (la publication des derniers résultats de Carrefour, avec une hausse de 22% de son Free Cash-Flow à 1,6 Mds€ en 2023, confirme cette tendance.) Il convient toutefois de préciser que la hausse de la valeur ajoutée s’est également manifestée par des augmentations de salaires supérieures à d’autres maillons de la chaîne.

 

Enfin, le grand perdant de la période inflationniste reste le consommateur, pour qui les augmentations de salaires ne parviennent pas à compenser la hausse du budget alimentaire.

 


Des importations qui devraient continuer, au détriment de l’agriculture française

 

La situation inflationniste actuelle met également au défi la soutenabilité de l’agriculture française, en encourageant les acteurs aval de la chaîne à poursuivre leurs importations.

 

D’une part, l’augmentation des coûts des intrants, en premier lieu l’énergie et les engrais – majoritairement importés –, évolue plus vite que la hausse des prix finaux, se traduisant par une hausse de la part des importations dans la décomposition de l’« euro alimentaire » et une dilution globale de la valeur ajoutée produite par la filière sur le sol français.

 



Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires (OFPM), HAïAT

 

D’autre part, les agriculteurs et la distribution semblent être capables de répercuter une partie de l'inflation sur les consommateurs, ce qui peut réduire la demande pour des produits locaux plus chers, au profit de produits importés moins coûteux.

 

Enfin, avec la globalisation croissante des marchés alimentaires, il est souvent plus économique d'importer certains produits alimentaires que de les produire localement. Cette tendance est renforcée par les accords de libre-échange et l'ouverture des marchés, qui facilitent et encouragent les importations.

 

Pour inverser cette tendance, des politiques visant à soutenir la compétitivité de l'agriculture locale, l'innovation dans la production et la transformation alimentaires, ainsi que la promotion de la consommation des produits locaux seront plus que nécessaires.

 

 

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